Il était très tôt. Environ cinq ou six heure du matin. Une heure à laquelle la plupart des gens dorment. Mais ce matin là, dans le petit village de Bessarmoux, une lumière anormalement vive remplaçait l'habituel roseoiement feutré qu'apportait l'aube naissante. Cette lumière attirait tous les Bessarmois, qui curieux et avides de commérages, se ruaient hors de leurs logis. Le foyer de toute cette agitation provenait d'une maison proche de la Mairie. D'énormes flammes rouges orangées jaillissaient des fenêtre, pour venir lécher les murs en vieille pierres de la bâtisse. La charpente hurlait de douleur et se craquait sous la pression de la chaleur. Des éclats de verre saupoudraient le gazon sur lequel se tenait, assis et immobile, un jeune garçon de 17 ans. Il avait le visage livide, les yeux dans le vide. En pyjama, il enlaçait ses genoux en les tenant contre son torse. Une légère brise vint perturber les cendres qu'il avait sur la tête et les épaules. Il était couvert de suie, les yeux rougis par la chaleur. Malgré l'affolement des gens atour de lui, il ne bougeait pas. Il ne répondait pas quand un voisin, soucieux d'apporter son aide, venait lui demander 'ça va p'tit ?'. Les pompiers débarquèrent rapidement. Le feu fut maîtrisé en l'espace de quelques minutes, mais il était déjà trop tard pour les deux quadragénaires qui habitaient là avec l'enfant en pyjama. Après quelques recherches menées par la police sur les lieux, on décréta que c'était un accident. Le jeune garçon, que l'on conduisit à l'hôpital immédiatement, pour vérifier qu'il n'ait pas de séquelles physiques suite à l'accident, n'ouvrit la bouche que le lendemain matin, alors que l'infirmière lui apportait le petit déjeuner. En ouvrant les yeux, il lui avait demandé 'Mes parents son partis ?', et l'infirmière, gênée, répondit simplement 'oui', de peur qu'un traumatisme psychologique n'ait plongé le gamin dans un état d'amnésie, et que la nouvelle de la mort de ses parents ne soit un choc trop grand pour lui. Cependant, alors qu'elle installait le plateau repas au dessus des genoux de l'enfant, celui-ci esquissa un sourire, le regard rêveur. L'infirmière eut tôt fait d'aller prévenir un psychologue, la réaction l'ayant alarmée.
Edmond changea de chaîne. 'Qu'est-ce qu'on s'emmerde. Y'a pas un film de Schwarzie ?'
Jean-Ederne, coincé entre le ventre à bière de son père et la poitrine opulente de sa mère, exprima son mécontentement dans un soupir bruyant qui dura bien plus longtemps qu'il n'en faut à un homme privé de sexe pendant trois ans pour se déshabiller devant une femme qui le lui demande.
'Oh, qu'est-ce qu'il a don' le p'tit à raler tout l'temps ?!', éructa sa mère entre deux bouchées du sandwich triangle thon-mayonnaise qu'elle avait eu le courage d'aller acheter, alors qu'il lui avait fallu tout de même traverser la rue, tourner à droite, continuer sur cent mètres avant de tourner à gauche. L'épicerie occupait le coin de rue, mais ne disposait que d'une entrée située dans la rue perpendiculaire à la leur.
'T'occupes don' pas d'lui, ma baleine', répondit le mari, avec sa douce voix de buveur de bière et fumeur de roulées, alors que son foie commençait déjà à se demander s'il n'inviterait pas son ami Cirrhose pour se faire une bouffe, un de ces quatres.
Il y avait effectivement un film de Schwarzenegger. Cet événement, non content d'obliger Edmond à taper des mains, entraîna tout un débat sur sa capacité supposée à ressentir les choses, sous-entendant ainsi, dans son argumentation, qu'il était pourvu d'une intelligence supérieure. À ces mots, Jean-Ederne éclata d'un rire tonitruant, avant de s'extirper du canapé sans un bruit, si ce n'est celui de succion provoqués par la corpulence des deux mammifères marins, et parti s'enfermer dans sa chambre.
'Le p'tiot m'inquiète.' hasarda Madame Zguègue.
'Mah t'inquiète don' pas, c'est l'âge. Ça lui passera.'
Ils s'enlacèrent.
Dans sa chambre, Jean-Ederne repensait au reportage. Et si... ?