Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Exhibition Picturo-Fécale

  • : Les Elucubrations Saugrenues de Monsieur Snookaz
  • Contact

Allez Aussi Flatuler Sur:

19 mai 2012 6 19 /05 /mai /2012 18:18

« - J'avais demandé un steak tartare, bordel de cul de poule unijambiste ! » gronda l'homme assis à la table 14, à l'attention du jeune serveur qui était dans l'établissement depuis seulement quelques heures. C'était un homme bien bâtit, rasé comme s'il l'avait fait le matin même, ce qui était sûrement le cas, à l'aide de ces rasoirs dernière génération, époustouflants d'efficacité et dont le prix dépasse largement le salaire à la journée d'un petit enfant chinois dans une usine de chaussures pour coureurs patentés. Il portait au poignet une gourmette argentée, sûrement un cadeau de la fille avec qui il partageait son plumard ou, plus plausiblement, de sa mère. La panique laissait paraître sur ses joues fraîchement passées sous UV un empourprement gêné, car c'est bien du jeune serveur dont il est question. L'autre homme, un quadragénaire de type caucasien de bonne famille, sans quoi il ne serait pas dans ce restaurant réputé pour ses prix atteignant des sommets dans l'absurdité rapport qualité prix, était sobrement paré d'un costume vert foncé, s'accordant assez mal avec une chemise jaune canari et des chaussures en cuir rouge. Il est en ce monde des gens qui n'ont aucune sensibilité aux accords des couleurs, et lui cumulait cette tare à un attrait certain pour tout ce qui ressemble plus ou moins à de la merde. Notre homme était donc mal sapé, comme diraient les danseurs de Kaléla. Cela dit, l'attirail de monsieur était en parfait accord avec son caractère. Si ses vêtements agressaient les yeux, son esprit belliqueux le poussait à chaque fois qu'il sortait à chercher querelle au premier infortuné qui avait le malheur d'avoir affaire à lui.

La victime s'excusa promptement, et après un flot de babillements indistinct, il parvint à articuler qu'il s'en allait chercher le patron. Les clients alentours, une troupe de culs coincés en tenues de soirée parfaitement repassées, étaient partagés entre indignement et compassion, au lieu de s'occuper de leurs oignons marinés dans de la graisse d'ornithorynque. Il faut dire que la plupart d'entre eux étaient mal accompagnés, c'est à dire qu'ils étaient en compagnie de leur mari ou leur femme... Avec qui les rapports sexuels étaient rares voire inexistants depuis de nombreuses années. L'agitation ne dura cependant que quelques minutes, puis tout le monde reporta son attention sur l'assiette qui se trouvait devant eux. Les discussions reprirent autours de sujets aussi intéressants qu'une conférence sur la fabrications des emballages de yaourts.

L'homme bariolé grommelait dans sa barbe. La colère avait fait naître une nouvelle couleur violacée sur ses joues dodues. Il trépignait sur son siège, prêt à en découdre avec le patron du restaurant, et ses mains trituraient de façon menaçante la fourchette en argent qui aurait préféré être entre les mains de millions d'autres personnes que les siennes. Car en plus d'être une insulte pour le regard, et d'être aussi agréable à entendre qu'un ongle sur un tableau noir, notre bœuf en costard transpirait abusivement de tous les pores de la peau, et la fourchette, qui sortait du lave vaisselle, était déjà recouverte de sueur et de sel. Le patron était un homme costaud au crâne rasé, probablement un ancien militaire, que n'importe qui aurait eu peur de contrarier. Mais notre perturbateur n'en avait cure, il voulait sa rixe, coûte que coûte.

Quoique menaçant, le patron s'adressa d'une voie douce et avenante au client mécontent qui lui faisait face. « Que puis-je pour vous ? Entama-t-il,

-Oh mais je vais vous le dire, explosa sans crier gare le buffle, mon steak est cuit, et à ce que je sache, un tartare ne l'est pas !

-Calmez-vous donc, c'est une regrettable erreur, je m'en vais de ce pas dire au cuisinier de vous préparer un steak tartare.

-Il est quand même aberrant de tomber sur des incapables de la sorte ! Votre restaurant est une immondice sans nom ! J'espère au moins que vous ne me demanderez pas de payer, avec le temps que cela m'a fait perdre, et l'outrage que vous m'avez fait.

-Une fois encore, monsieur, reprit le patron, je vous demanderais de vous calmer. Comme vous pouvez le constater, vous n'êtes pas seul dans ce restaurant, et vous commencez à gêner les autres clients.

-J'en ai rien à carrer de vos autres clients ! Bougez votre derrière en vitesse et apportez moi ce que je demande!

-Un tartare donc ?

-Bon sang mais vous êtes bouché en plus de cela ?!

-Précisément... , répondis dans un souffle le patron, un rictus effrayant aux lèvres.

Sans rien ajouter d'autres, il s'en fut à grand pas vers la cuisine, sous les insultes nourries proférées par l'homme de la table 14. Au passage, il saisit le jeune serveur, et murmura quelque mot à l'oreille de ce dernier qui le firent blêmir. Il acquiesça néanmoins, et continua son service sans prêter plus aucune attention au quadragénaire maugréant.

Une demie heure plus tard, pas de tartare. L'homme, s'il avait arrêté de tonitruer, prolongeait son monologue agressif à voie basse. Tout le monde mangeait, et le bruit des couverts et des autres conversations couvraient maintenant les ruminations du bovin.

Une heure plus tard, toujours pas de nouvelles du morceau de viande. Le bougre bariolé, ne tenant plus en place, se leva et fonça à grandes enjambées vers la cuisine, sous le regard inquiets de quelques uns des clients. Les habitués, quant à eux, esquissaient un sourire d'amusement, comme s'ils étaient spectateurs d'une scène de film comique. Il était aisé de supposer à leur réaction que ce n'était pas la première fois que cela arrivait, et qu'ils connaissaient déjà le dénouement de toute cette affaire. L'homme pénétrait à présent dans la cuisine. On l'entendit vociférer, sans distinctement entendre ce qu'il disait. Des bruits d'agitations émanèrent de la porte à double battant, des casseroles que l'on déplaçait violemment sans doute. Un orchestre de percussion d'ustensile couvrit bientôt les voix. Un gros « boum » retentit alors, puis plus rien. Le calme était revenu dans le restaurant.

Rien d'autre ne vint perturber le calme morose qui régnait alors sur la salle du restaurant. Chacun continua son repas comme s'il ne s'était jamais rien passé, en saupoudrant l'ambiance peu primesautière par des déblatèrements tous plus ou moins stériles. Puis chacun se leva, paya l'addition, et s'en fut dormir sur, sous ou sans les autres.

 

Le lendemain matin, sur la pancarte du restaurant figurait, inscrit en grandes lettres de craie capitales : « AUJOURD'HUI, RECETTE SECRETE DU PATRON,

VIANDE SPECIALE. »

Partager cet article
Repost0

commentaires

C
Cher Snookaz,<br /> Vous nous servez-là un met raffiné aux saveurs aigre-douces. Une atmosphère qui mêle le sinistre au cocasse, une chute admirablement amenée via de savantes métaphores bovines, et une référence à la<br /> Kalela dance en prime. Tout simplement délectable.
Répondre